Les leçons d’une crise: MaPrimeRénov’, entre succès et (dés)illusions

June 6, 2025

Même après une forte réduction budgétaire, près de 3,6 milliards d’euros ont tout de même été consacrés à MaPrimeRénov’ en 2025. Et le rythme des demandes ne faiblit pas : au premier trimestre 2025, l’ANAH a reçu 33 222 dossiers, contre seulement 11 450 à la même période l’an dernier.

Mais malgré son ambition et son attrait, le dispositif se heurte à plusieurs difficultés : retards de paiement, fraudes à répétition, complexité administrative… Sans oublier les critiques sur certains outils de référence, comme la méthode de calcul 3CL-DPE.

Le 4 juin, le gouvernement a décidé de suspendre le dispositif MPR temporairement, alors que 1,3 milliard d’euros avaient déjà été engagés – soit 36 % du budget annuel. Une décision qui confirme les tensions autour de ce dispositif, désormais central – mais aussi controversé – dans la politique de rénovation énergétique.

Un dispositif miné par la fraude

En mars 2025, l’ANAH annonçait avoir détecté 60 500 dossiers suspects pour l’année 2024, dont 67 % confirmés comme frauduleux. Ces résultats sont le fruit d’un usage accru d’outils d’intelligence artificielle et d’un meilleur partage de données avec les services de la Répression des fraudes. Au total, 44 000 demandes ont été rejetées en 2024. Cela représente près d’un dossier sur dix, comme le rappelle Éric Lombard.

En 2025, le taux de suspicion grimpe même à 12 %. Face à cette situation, Thomas Cazenave, député de Gironde (EPR), a porté une proposition de loi spécifiquement dédiée à la fraude aux aides publiques, adoptée le 14 mai 2025. De son côté, Valérie Létard, ministre du Logement, a appelé à renforcer les contrôles, les sanctions et la prévention.

Ce climat de fraude pèse lourd sur les professionnels sérieux du secteur, qui doivent redoubler d’efforts pour rester crédibles et continuer à exercer leur métier dans de bonnes conditions.

Entre fraude dure et optimisation des aides

Dans le débat actuel, il est essentiel de distinguer la fraude, qui est illégale, de ce qu’on appelle l’optimisation des aides. Cette dernière est tolérée sur le plan juridique, mais elle peut aller à l’encontre de l’esprit du dispositif.

La fraude fragilise le dispositif MPR

Pour les autorités, la fraude consiste à obtenir un financement public de manière abusive, à travers des actes délibérément trompeurs. Cela va bien au-delà des simples faux papiers.

Dans la loi portée par Thomas Cazenave, sont notamment visées les “manœuvres frauduleuses ou manquements délibérés en vue d’obtenir ou de tenter d’obtenir indûment une aide publique”.

Cela peut inclure :

  • L’usurpation d’identité de particuliers ou d’entreprises (via des sociétés prête-noms)
  • La falsification de documents (factures, audits, attestations RGE…)
  • Des travaux non réalisés ou partiellement faits
  • Des devis gonflés pour maximiser les aides
  • Le détournement des subventions, voire leur blanchiment via des circuits internationaux ou des crypto-monnaies

À noter : Face à l’usurpation d’identité, il ets important de rappeler aux particuliers que leurs identifiants fiscaux sont des données confidentielles. Pour toute première simulation de travaux, la simple indication d’une fourchette de revenus suffit pour déterminer la couleur d’un ménage et donc les aides disponibles.

L’optimisation contrevient parfois aux objectifs

Contrairement à la fraude, l’optimisation consiste à utiliser les règles à son avantage, sans les enfreindre. C’est légal, mais pas toujours aligné avec les objectifs de performance énergétique.

Cela peut prendre plusieurs formes :

  • Réaliser uniquement les travaux les plus subventionnés (ex. : pompe à chaleur, ITE), même si l’impact réel est faible dans le logement concerné
  • Forcer des projets “rénovation d’ampleur” avec des gestes pas toujours nécessaires
  • Profiter d’un revenu fiscal temporairement bas pour bénéficier de barèmes plus avantageux

Même si ces pratiques ne sont pas sanctionnées, elles peuvent coûter cher à l’État tout en aboutissant à des rénovations peu efficaces. Si l’on veut vraiment faire mieux, peut-être faut-il repenser les règles : par exemple, en cherchant à maximiser les économies d’énergie par euro investi.

Vers un “Grenelle” de la rénovation énergétique

MaPrimeRénov’ est aujourd’hui le pilier de la politique de rénovation énergétique. Il reflète à la fois l’engagement de l’État pour la transition écologique et la mobilisation de milliers de professionnels sur le terrain.

Mais pour garantir son avenir, il est temps que pouvoirs publics et acteurs de la filière se réunissent autour de la table, afin d’améliorer les règles, renforcer les contrôles, et surtout, bâtir un système plus robuste et plus équitable.

C’est pourquoi je propose l’organisation d’un Grenelle de la rénovation énergétique, ouvert à tous les experts, et pas uniquement aux fédérations traditionnelles du secteur.

👉 Un espace est d’ores et déjà ouvert à toutes celles et ceux qui veulent contribuer avec des idées concrètes ancrées dans la réalité terrain. : Forum pour un Grenelle de la rénovation énergétique

Clémentine Lalande, Cofondatrice et directrice générale de kelvin°

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